Allocution du Président
Monsieur le Recteur
Madame et Monsieur les Doyens
Madame la Ministre
Monsieur le Représentant de la Ministre-Présidente de la Communauté française
Mesdames et Messieurs,
Chers Collègues,
Chers Elèves,
Au nom de l'équipe organisatrice de la 21ème édition des "Rencontres latines", je vous remercie de votre présence qui nous honore. Bien sûr, l'affluence n'est pas aussi impressionnante que celle de ce matin aux portes des Facultés, sans doute à cause de l'heure un peu tardive. Mais clôturer cette journée dans la foulée directe du concours et des corrections, devant un public de qualité, est pour nous la manière de couronner au mieux notre objectif de faire de cette journée une fête du latin ouverte à tous, élèves, professeurs et personnalités.
Avant d'en venir au palmarès, je vous demande un peu de patience et d'indulgence, car j'ai non seulement le devoir, mais aussi et surtout le réel plaisir de remercier tous ceux sans lesquels cette journée n'aurait pu se dérouler dans les meilleures conditions.
Mille mercis tout d'abord aux
- Facultés Saint-Louis pour leur chaleureux accueil et leur apport logistique exemplaire : ouvrir ses murs à plusieurs centaines d'élèves est un réel défi qui a pu être relevé grâce au soutien des autorités universitaires, en la personne notamment de Monsieur le Recteur. Sa fidèle secrétaire, Melle Deleval, Véronique, Marie-Aude et Nathalie du service « Communication » ainsi que le toujours disponible Michel Gotti ont assumé diverses tâches, parfois assez ingrates.
- Monsieur G. Schouppe, qui a assuré la correction collective de la version, avec la compétence et l’enthousiasme qu’on lui connaît
- Les membres du Comité organisateur qui ne ménagent pas leurs efforts pour mener à bien cette vaste entreprise. Je citerais tout particulièrement Madame Noëlle Hanegreefs, notre vaillante secrétaire, dont le courage et l'efficacité ne sont plus à démontrer.
- Yves Tinel, le Président-fondateur des "Rencontres latines" voit aujourd'hui son "bébé" arriver à son vingt-et-unième anniversaire.
Je remercie également tous les professeurs venus aujourd'hui à Bruxelles tant pour encadrer les élèves et les soutenir moralement dans leur travail, que pour corriger les copies. Un travail de correction ô combien ardu, rendu possible par l'acribie, la compétence et l'entraide de toute une équipe.
Et enfin merci à tous les élèves qui, cette année encore, ont relevé le beau défi de la version latine.
Cette année, 720 élèves ont envahi les auditoires. Nous égalons donc ainsi le record de l'an 2000. A l'heure des débats incessants sur les cursus scolaires et après une douloureuse rationalisation des études classiques au niveau universitaire, ce succès à de quoi surprendre ceux qui s'en tiennent aux sempiternels clichés sur la désuétude des langues anciennes. Mais il n'étonne pas les esprits qui savent prendre une distance critique ni les acteurs de terrain qui, au quotidien, font vivre le latin et le grec.
Dans "L'enfant de Bruges", un roman historique se déroulant aux temps de la Renaissance., Gilbert Sinoué écrit ceci : «Comment convaincre les esprits figés que toutes les sources du savoir viennent de Rome, de Grèce, qu'il n'y a rien de blasphématoire dans la volonté d'exhumer les sculptures profanes et de rétablir les écrits de Pline, Platon, Apulée, Sénèque ?». Eh oui : aujourd'hui encore il faut continuer à convaincre les esprits figés de ne pas priver les jeunes du XXIe siècle des victoires de l'Humanisme !
720 élèves sur les plus de 2500 rhétoriciens latinistes du réseau libre. Lesquels font partie des 15500 latinistes (au bas mot) toujours pour le seul réseau libre. 15500 auxquels il faut encore ajouter les milliers d'élèves de 1ère et 2ème années du secondaire qui découvrent le latin comme activité d'essai. Ce n'est pas rien, et ces chiffres ne sont pas en diminution.
Et pourtant l'an dernier, à la même époque, la "querelle du latin" battait son plein. Pétitions, débats, réactions en tout genre ont alimenté la réflexion.
Permettez-moi d'insister brièvement sur deux points qui me tiennent à cœur :
Tout d'abord, l'école, si elle se veut démocratique et donc émancipatrice (idée chère à notre Recteur), se doit de ne priver a priori aucun futur citoyen de la diffusion des littératures et civilisations grecques et latines à travers des textes lus dans leur langue respective ( ). C'est précisément l'objectif poursuivi, notamment dans l'enseignement catholique, par toutes les écoles qui offrent le latin, souvent de façon obligatoire, en première année du secondaire général, en y voyant un merveilleux outil au service de la maîtrise des savoirs de base. Et les auditoires bondés de ce matin étaient une nouvelle réponse cinglante à ceux qui s'imaginent que les élèves latinistes sont tous issus de milieux favorisés, tous dépourvus de libre arbitre, tous destinés à devenir juristes, médecins ou ingénieurs… Il ne fait pas de doute que bon nombre d'entre eux, dont le milieu familial ou les intérêts immédiats ne les disposaient pas a priori à étudier le latin, n'auraient jamais connu les richesses, certes peut-être encore insoupçonnées, de cette formation, s'ils ne l'avaient pas découverte dès 12 ans.
Deuxième point : «Je voudrais m'inscrire en faux contre la conception qui assigne comme tâche à l'école d'enseigner les connaissances et compétences particulières qui seront plus tard d'une utilité immédiate dans la vie. Les exigences de la vie sont beaucoup trop multiples (…) L'école doit toujours s'efforcer que celui qui la quitte soit un homme à la personnalité harmonieuse, plutôt qu'un spécialiste»( ). Ces mots ne sont pas les miens mais ceux d'un certain Albert Einstein, il y a 70 ans. Mais je crois intimement que l'étude des langues anciennes contribue à ce souci de polyvalence et d'harmonie. D'ailleurs, en cette journée de la femme, il me plaît de souligner que nos classes de langues anciennes sont davantage fréquentées par la gent féminine. En conclure que les filles sont plus lucides, plus éclectiques, moins terre à terre, moins paresseuses, et que par là leur taux de réussite dans le supérieur est plus élevé serait un raccourci très audacieux que je n'oserais pas…
Vous aurez compris que je pourrais m'étendre bien davantage sur ces différents enjeux et développer bien d'autres éléments, mais il me faut revenir à ce qui nous réunit particulièrement ce soir.
L'objectif de nos « Rencontres latines » est, avant toute autre préoccupation, de réunir des jeunes de tous horizons, quel que soit leur niveau en version, pour leur faire vivre que l'étude du latin ne se résume pas à leur classe dans leur école, mais peut rassembler les foules. Certes les motivations des participants peuvent être diverses : envie de vivre une expérience inédite, plaisir de traduire du latin, goût de la compétition, obligation du professeur, occasion rêvée de sécher les cours,... L'essentiel n'en reste pas moins pour nous de montrer que la formation par le latin et le grec ne constitue pas le "Jurassic Park" de l'enseignement secondaire qui n'attirerait que quelques nostalgiques d'un passé révolu. Même si l'enseignement des langues anciennes n'a jamais été épargné (diminution drastique du volume-horaire ( )), attaques sarcastiques de moult ennemis, concurrence dramatique de disciplines jugées a priori plus utiles et plus rentables pour le monde d'aujourd'hui, cet enseignement existe, évolue, s'adapte, pour offrir aux jeunes du XXIe siècle les atouts d'une formation généraliste, humaniste et citoyenne.
Cela dit, les « Rencontres latines » sont aussi un concours de version. Et tout concours doit avoir ses lauréats, qu'il a bien fallu –j'ose à peine prononcer le mot– sélectionner. C'est pourtant là aussi une école de vie, car il serait hypocrite, irresponsable, criminel, de laisser croire aux jeunes que tout pourra se gagner sans effort, sans qu’ils soient les principaux acteurs de leur propre avenir...
En ce qui nous concerne, l’enjeu reste modeste ; l'essentiel était de participer : point d’humiliation pour les non classés ; point de triomphe démesuré pour les vainqueurs.
Et c'était précisément là le message du texte qui a été soumis ce matin à la sagacité des élèves. Il était tiré du Pro Marcello , un discours où Cicéron s'adresse à César pour le remercier de sa clémence envers Marcellus, un ancien adversaire partisan de Pompée durant la guerre civile.
Permettez-moi d'en citer un court extrait, en français :
"Vaincre son cœur, réprimer sa colère, épargner un vaincu, relever de sa chute un adversaire, faire cela, c'est faire plus que les plus grands héros, c'est égaler à la divinité.
Bis uincit qui se uincit in uictoria, dit le proverbe ("Il remporte une double victoire celui qui se maîtrise dans son succès")
Qui oserait nier la portée de tels propos dans notre monde d'aujourd'hui, où les notions dejustice, de respect, de fair-play, de tempérance sont trop souvent bafouées.
Nullement passéiste donc, la lecture des auteurs latins et grecs peut offrir aux aux générations futures, des valeurs plus humaines, une vision plus juste et plus critique du monde. Les textes anciens constituent pour eux ce tiers-objet qui les aide à prendre du recul par rapport à l'immédiateté de l'actualité et à se forger un jugement enrichi de la perspective historique qui sert tantôt de modèle, tantôt de repoussoir. Cette actualité est d’ailleurs confirmée par l’abondance de livres, pièces de théâtre, films, sites internet, en rapport avec l’Antiquité : comme une prise de conscience du nécessaire retour à nos racines, jusque dans ces docu-fictions remettant en scène, avec les moyens les plus modernes, le drame de Pompéi, tel plaidoyer de Cicéron, ou la vie tumultueuse des Romains dont une chaîne à péage a récemment fait un argument publicitaire.
Les 6 premiers lauréats d’aujoud’hui auront la chance de se rendre à Arpino, en compagnie de 14 condisciples francophones et néerlandophones pour représenter la Belgique à la 26ème édition du Certamen Ciceronianum Arpinas.
Montage Powerpoint
Voir ainsi le petit village natal de Cicéron accueillir plusieurs centaines de jeunes issus des quatre coins de l'Europe, de la Pologne au Portugal, de l'Irlande à la Bulgarie, est une preuve supplémentaire de l'intérêt et de l'actualité de l'étude des textes anciens dans notre Europe en permanente évolution. C'est là qu'apparaît notamment le rôle fédérateur de l'enseignement des langues grecque et latine qui permet aux jeunes d'explorer les textes fondateurs de notre pensée européenne et de prendre conscience, par-delà la diversité des pays et des langues, de la richesse d'un passé commun et de la force des valeurs qu'ils partagent. N'est-ce pas là aussi un moyen de lutter contre les nationalismes ou les particularismes, quand on se rappelle que la civilisation gréco-latine a fait fi des frontières pour s'étendre d'ailleurs bien au-delà des limites du seul continent européen ?
Qu'ils fassent partie ou non du voyage, les rhétoriciens avaient aujourd'hui une mission : comprendre et communiquer un message transmis par l'illustre Cicéron. Une mission certes pas impossible, mais malgré tout périlleuse. Car, comme le disait Mme de Stael, "le sens d'une phrase dans une langue étrangère est à la fois un problème grammatical et intellectuel, compliqué comme les problèmes de la vie : aucun n'est absolu : il faut deviner, il faut choisir, à l'aide d'aperçus et de suppositions qui n'ont aucun rapport avec la marche infaillible du calcul…" . Le travail du traducteur est donc difficile : c'est un exercice complet, où sensibilité et rigueur scientifique doivent s'épauler tour à tour pour rendre la pensée d'autrui avec nuance et l'exprimer dans un français correct. Ses qualités formatrices sont indéniables, tant pour la rigueur du raisonnement que pour le maniement de la langue maternelle, ou encore l'esprit d'ouverture et de tolérance par rapport au message de l'autre. Inutile donc de dire combien la traduction des textes latins et grecs peut améliorer cette aptitude à lire, à comprendre et à écrire, qui semble faire si cruellement défaut aux jeunes francophones d'aujourd'hui.
Quand le fameux Contrat stratégique de Mme Arena ré-affirme la nécessité d'intensifier les activités de lecture et d'écriture en insistant (je cite) "sur l'apprentissage de la compréhension et de la lecture inférentielle", l'on comprend toute la pertinence de l'exercice de traduction à partir d'une langue ancienne, dès le premier degré du secondaire.
Quand elle allie la richesse de la maîtrise linguistique, la rigueur du raisonnement scientifique et la saveur de la culture, la formation par les langues anciennes peut réellement aider les jeunes à devenir les citoyens responsables et actifs que réclame une société démocratique. Et pourtant ce sont trop souvent les cours de latin et de grec qui, telle Iphigénie, sont injustement sacrifiés sur l'autel d'une rentabilité douteuse...
Mais trêve de réflexions, il est plus que temps d'en venir à la remise des prix.
Non sans avoir cependant lancé une seconde salve de remerciements à toutes les personnalités et organisations qui nous ont fait part de leur sympathie et de leur soutien et qui nous permettent d'offrir ce soir de splendides prix. Vous excuserez cette énumération quelque peu fastidieuse, mais c'est le moins qu'on puisse faire pour les en remercier. Je vous prie aussi de bien vouloir excuser ceux qui n'ont pu être des nôtres ce soir, mais qui nous ont assuré de leur sympathie.